Pierre, notre ambassadeur, ingénieur et ministe a invité Léo, également ingénieur chez Tribord, à régater avec lui sur l’une des rares course en double de la saison. On vous propose de revivre cette course, sans filtre et avec leurs mots !
Pierre a invité Léo, également ingénieur chez Tribord, à régater avec lui sur l’une des rares course en double de la saison : Duo Concarneau 2018
« Deux ou trois tablettes de chocolat ? » lance Pierre à Léo depuis le bout du rayon confiseries d’un supermarché. On le sait, le chocolat c’est bourré d’énergie et en plus c’est excellent pour le moral. Ils en auront besoin car ils s’apprêtent à partir pour une course de 300 miles nautique sur le mini 6.50 de Pierre, un prototype en carbone qui a déjà traversé quatre fois l’Atlantique.
L’atlantique, c’est ce qui attend notre Pierro lors de la mini transat 2019. Vous vous demandez encore pourquoi « mini » transat ? Peut-on faire une « petite » traversée à l’échelle d’un océan ? Mini c’est tout simplement le nom de ces petites coques de noix de 6m50 qui ressemblent à des bateaux du Vendée Globe, à l’échelle 1:3, et qui traversent tous les 2 ans l’Océan Atlantique au cours d’une course appelée mini transat.
Léo rejoint donc Pierre à sa base de Lorient le lundi après-midi pour préparer au mieux la course : rangement, inscription, avitaillement (ce qui amène Léo à disserter avec Pierre du nombre de tablettes de chocolat qu’ils doivent emporter), routage…même si ils partent sur un petit bateau, il n’y a pas trop de deux jours et demi de préparation avant le top départ !
Léo : « 20 secondes avant le départ » à la barre je fais glisser le bateau à petite vitesse vers le bout de la ligne de départ, je jette un petit coup d’œil par-dessus mon épaule. On est dégagés des autres concurrents. Parfait, maintenant il faut lancer le bateau. Pierre s’applique aux réglages, la tête dans les voiles, il borde rapidement la grand voile, ajuste le foc au centimètre près. Le bateau accélère. D’un léger coup de barre je place l’étrave vers la première marque de parcours, « 3… 2 … 1… Top ! … Bon Départ » Le grésillement de la VHF nous confirme que nous n’avons pas mordu la ligne, on peut donc se concentrer à fond sur la vitesse du bateau.
Pierre : Nous devons remonter au vent pour un premier bord spectacle avant de repartir vers l’ouest. Notre stratégie pour le départ s’avère payante ... Bien vu Léo ! Nous passons cette fameuse bouée au vent en premier, le journaliste de la course titrera plus tard : « Les testeurs Tribord premier à la bouée au vent ». Nous avions un message à faire passer : on n’est pas là pour enfiler des perles, ni en régate ni dans la conception de nos produits ; c’est chose faite !
Je laisse Léo au pilotage, après tout, il barre environ 100 fois mieux que moi, et de mon côté, je me concentre sur la stratégie pour la suite de la course et la remontée vers Brest. Je jette un coup d'œil dans le ciel et je vois un petit front de nuages qui arrive sur nous. J’attrape nos bottes, vestes et salopettes et on se change. Bien vu, 10 minutes après nous réduisons notre grand-voile dans une trentaine de noeuds et des seaux d'eau dans la figure.
Léo : Après la pointe commence une grande remontée au vent devant Audierne. On profite des dernières lumières du jour pour se préparer un bon plat chaud avant d’attaquer la nuit, au menu pâtes bolo’ lyophilisées. Le reste de l’eau chaude finit au fond du thermos et un sachet de thé l’y rejoint. On sera bien content de trouver une boisson chaude tout à l’heure dans la nuit
À 23h c’est le passage du raz de sein, ce lieu connu de tous les marins pour ses courants violents et ses vagues parfois énormes est apaisé aujourd’hui, tant mieux ! Autour de nous une multitude de lumières, parmi lesquelles il faut distinguer les bouées signalant des cailloux, les feux de nos concurrents. Sûr de lui Pierre m’indique les caps à suivre et après un léger slalom on est passés et on peut mettre le cap sur Brest. On est 4ème.
Avant de partir j’avais lu des récits qui parlaient de l’euphorie du début de course qui ne te fait pas sentir la fatigue. J’avais compris qu’il faut se forcer à se reposer dès les premières heures de course alors j’essaye d’aller dormir un peu. Je pousse un sac de voile pour m’allonger sur la couchette, Pierre m’explique le fonctionnement du réveil « C’est un gros minuteur, tu règles le temps avec ce bouton, tu le lances avec cet interrupteur. Pour l’alarme, tu l’entendras ! ». Pour cette fois impossible de fermer l’œil. Pierre me rassure et me dit qu’avec un bon coup de fatigue la première nuit, trouver le sommeil ne sera plus un problème par la suite. Et il en fut ainsi.
Pierre : Nous allons tourner notre bouée au large de Brest avant de redescendre, puis en fin de nuit, pétole. Nous nous retrouvons collés à la piste dans la houle, le courant la pluie les voiles qui claquent les estomacs qui tournent ... Un vrai bonheur. Qui a débranché le ventilo ?! Nous essayons de sortir de là, mais il nous faut bien huit heures avant que ça ne redémarre vraiment, et encore, ce n'est pas violent ! Nous hissons le grand spi direction Belle-Ile ! Yallah !
Léo : Première nuit horrible, sans un souffle de vent. Par chance on a passé la bouée du raz-de-sein avant qu’il ne tombe complètement. J’avoue qu’au réveil je n’étais pas optimiste à propos du classement. C’était donc une bonne surprise de découvrir au matin que seuls deux bateaux s’étaient glissés devant nous. La chasse est ouverte, on traque les moindres risées de vent, les moindres plis sur la surface de l’eau et on fait de notre mieux pour les accrocher. La course va être plus longue que prévu et on entend déjà à la VHF des équipages qui n’ont pas prévu suffisamment de provisions et disent entamer le rationnement.
Pierre : La deuxième nuit, le vent se renforce, le bateau file vers le sud, nous passons entre Belle Ile et Quiberon à pleine vitesse, ça tombe bien parce qu’on s’est un peu traîné toute la journée et nous avons encore de la route à faire. Le bateau tape, craque, vibre, résonne on dit tous que c’est horrible, mais en vrai, c’est ce que l’on vient chercher, oui le ministe est paradoxal. Je vais me coucher laissant Léo gérer tout ça et on convient d’un petit code : quand j’entends un bruit bizarre, je toque deux fois sur la coque pour demander si tout va bien s’il répond 2 tocs: c’est que tout va bien, 3 tocs: c’est qu’il a besoin d’un coup de main. Je fais un petit essai « -toc toc -BOUM BOUM » : OK tout va bien par contre il n’a pas dû comprendre que je suis allongé juste en dessous et que ce n'est pas la peine de bouriner autant ; je perds un tympan, mais notre méthode de communication fonctionne.
Pierre : Le jour se lève nous sommes vers Noirmoutier j’ai bien dormi, quatre siestes de vingt minutes : royal ! Nous croisons les trois premiers copains qui remontent déjà, ils déboulent sous spi et prennent une belle avance nous luttons un peu pour aller tourner autour de la bouée au sud du parcours avant d’envoyer nous aussi notre beau spi noir, direction Concarneau. Ça tartine comme on dit ! Je barre pendant que Léo finit sa nuit et j’essaye de glisser le plus possible pour passer à l’ouest de l’éolienne. Quand Léo se réveille, je lui confie la barre et je vais faire une petite sieste à mon tour. Quand je me réveille nous sommes nez à nez avec l’éolienne : Léo, quand il barre, c’est pour attaquer, pas pour économiser un empannage... Nous voilà donc à la manœuvre !
La dernière journée sera longue et lente, en effet, Eole se reprend les pieds dans la rallonge, débranchant une deuxième fois le vent et nous nous retrouvons plantés devant Quiberon sans vent. Heureusement, Léo nous trouve une micro risée qui nous amène jusqu’à la pointe des poulains au nord de belle île et nous faisons cap vers l'arrivée dans un vent très faible, mais la mer est plate et le bateau glisse bien.
Léo : Les premiers ont maintenant une grosse avance. Nous en revanche on se retrouve à nouveau dans un souffle d’air erratique écrasés par le soleil devant Belle-Ile. Je repense avec une pointe de nostalgie à hier quand on était au même endroit mais dans l’autre sens et que je regardais, la tête par-dessus le bastingage, le bulbe de quille entouré d’un halo de plancton fluorescent fendre la mer à 10 noeuds. On ne terminera pas ce soir et en fin d’après-midi on se prépare à passer une dernière nuit en mer.
Léo : On a passé les Glénan, l’arrivée est toute proche et maintenant il suffit de bien négocier les dernières bouées pour arriver. Je salive déjà en pensait à l’odeur du café chaud et du pain au chocolat d’après course. La dernière nuit a été difficile pour moi, pas assez dormi. J’avais froid. Au moment de ma prise de quart voyant que je n’arrivais pas à me réchauffer, Pierre a sorti les grand moyens et m’a enroulé dans le duvet pour que je puisse un peu me réchauffer. Pas forcément pratique mais super efficace.
Il est 6h et demie, il fait toujours nuit mais on est maintenant à moins de deux milles de la ligne lorsqu’on voit une petite lumière s’approcher. Incroyable, un comité d’accueil vient à notre rencontre !
Pierre : Je repère les lumières du chenal et je vois un petit feu rouge en plus de d’habitude, et voilà qu’ils commencent à nous éclairer. C’est en fait notre « fan-club » qui a loué un zodiac pour venir nous accueillir à 6 h du matin. À bord, mes parents, Nico qui est photographe et ambassadeur Tribord, ainsi que notre amie et collègue Violette. Ils sont courageux, car on se rapproche de la ligne à petite vitesse, mais ça nous fait très plaisir et nous laisse d’autant plus de temps pour savourer.
Léo : Ça y est c’est fini, la ligne est franchie. On est 4ème, je suis super content, je me retourne vers Pierre et lui tape le dos dans une franche accolade, merci de m’avoir fait vivre cette aventure !
On fait tomber le foc et pendant que le zodiac nous tire vers le ponton on se fait confirmer notre 4ème place! On sera les derniers à franchir la ligne d’arrivée dans les temps puisque sa fermeture à 14h ce dimanche n’a pas permis aux autres bateaux englués entre Groix et les Glénan de finir avant cet horaire fatidique.
Plus tard, après l’arrivée, j’ai réalisé que beaucoup de mes amis, même des non voileux se sont pris au jeu de suivre notre trace sur le site de tracking. Parmi les plus assidus, mon père. Il était là sur le ponton après s’être levé à 4h30 du matin pour me faire la surprise à l’arrivée. Ça m’a fait chaud au cœur de voir qu’il suivait à ce point et c’est ça que je trouve génial dans cette course, on a beau n’être que deux sur le bateau, on partage ce qu’on fait avec plein de gens et on pense à eux.
Pierre : C’était la dernière course de la saison, clap de fin pour 2018 après un été compliqué à base de grand-voile déchirée, de qualif’ pas réalisée etc. mais l’important n’est pas là. Cette course avec Léo m’a permis de reprendre confiance et surtout du plaisir à bord !
Rendez vous l’année prochaine pour la fin de la préparation et surtout pour cette belle traversée à l’automne.
Merci de nous avoir suivi et d’avoir lu notre récit !
Léo & Pierre – Ingénieurs et marins heureux